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 - 26 avril 2024 - Bse Alida
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Redemptoris missio

Chapitre 2 : le royaume de Dieu

12. « "Dieu riche en miséricorde" est Celui que Jésus Christ nous a révélé comme Père : c’est Lui, son Fils, qui nous l’a manifesté et fait connaître en lui-même »21. C’est là ce que j’écrivais au début de l’encyclique Dives in misericordia, pour montrer que le Christ est la révélation et l’incarnation de la miséricorde du Père. Le salut consiste à croire et à accueillir le mystère du Père et de son amour, qui se manifeste et se donne en Jésus par l’Esprit. Ainsi s’accomplit le Règne de Dieu, préparé dès l’Ancienne Alliance, mis en œuvre par le Christ et dans le Christ, annoncé à toutes les nations par l’Eglise qui agit et prie pour sa réalisation parfaite et définitive.

L’Ancien Testament atteste que Dieu a choisi et constitué un peuple pour révéler et mettre en œuvre son plan d’amour. Mais, en même temps, Dieu est créateur et père de tous les hommes, il prend soin de tous, à tous il étend sa bénédiction (cf. Gn 12, 3) et avec tous il a conclu une alliance (cf. Gn 9, 1-17). Israël fait l’expérience d’un Dieu personnel et sauveur (cf. Dt 4, 37 ; 7, 6-8 ; Is 43, 1-7) dont il devient ainsi le témoin et le porte-parole au milieu des nations. Au cours de son histoire, Israël prend conscience que son élection a une portée universelle (cf., par ex., Is 2, 2-5 ; 25, 6-8 ; 60, 1-6 ; Jr 3, 17 ; 16, 19).

Le Christ rend présent le Royaume

13. Jésus de Nazareth conduit à son terme le plan de Dieu. Après avoir reçu l’Esprit Saint au baptême, il manifeste sa vocation messianique ; il parcourt la Galilée, « proclamant l’Evangile de Dieu et disant : "Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche : repentez-vous et croyez à l’Evangile" » (Mc 1,14-15 ; cf. Mt 4,17 ; Lc 4,43 ) . La proclamation et l’instauration du Royaume de Dieu sont l’objet de sa mission : « C’est pour cela que j’ai été envoyé » (Lc 4,43). Mais il y a plus : Jésus est lui-même la Bonne Nouvelle, comme il le déclare dans la synagogue de son village, dès le début de sa mission, en s’appliquant la parole d’Isaie sur l’Oint, envoyé par l’Esprit du Seigneur (cf. Lc 4,14-21). Le Christ étant la Bonne Nouvelle, il y a en lui identité entre le message et le messager, entre le dire, l’agir et l’être. Sa force et le secret de l’efficacité de son action résident dans sa totale identification avec le message qu’il annonce : il proclame la Bonne Nouvelle non seulement par ce qu’il dit ou ce qu’il fait, mais par ce qu’il est.

Le ministère de Jésus est décrit dans le contexte de ses voyages dans son pays. L’horizon de sa mission avant la Pâque se concentre sur Israël ; toutefois, il y a en Jésus un élément nouveau d’importance primordiale. La réalité eschatologique n’est pas renvoyée à une fin du monde éloignée, mais elle devient proche et commence à advenir. Le Royaume de Dieu est tout proche (cf. Mc 1,15), on prie pour qu’il vienne (cf. Mt 6,10), la foi le voit déjà à l’œuvre dans les signes, tels les miracles (cf. Mt 11,4-5), les exorcismes (cf. Mt 12,25-28), le choix des Douze (cf. Mc 3,13-19), l’annonce de la Bonne Nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4,18). Dans les rencontres de Jésus avec les païens, il apparaît clairement que l’accès au Royaume advient par la foi et la conversion (cf. Mc 1,15), et non du fait d’une simple appartenance ethnique.

Le Règne que Jésus inaugure est le Règne de Dieu. Jésus lui-même révèle qui est ce Dieu qu’il désigne par le terme familier de « Abba », Père (Mc 14,36). Dieu, révélé surtout dans les paraboles (cf. Lc 15,3-32 : Mt 20,1-16), est sensible aux besoins et aux souffrances de tout homme : il est un Père plein d’amour et de compassion qui pardonne et accorde gratuitement les grâces demandées.

Saint Jean nous dit que « Dieu est Amour » (1 Jn 4,8. 16). Tout homme est donc invité à « se convertir » et à « croire » à l’amour miséricordieux de Dieu pour lui : le Royaume croîtra dans la mesure où tous les hommes apprendront à se tourner vers Dieu comme vers un Père dans l’intimité de la prière (cf. Lc 11,2 ; Mt 23,9) et s’efforceront d’accomplir sa volonté (cf. Mt 7,21).

Caractéristiques et exigences du Royaume

14. Jésus révèle progressivement les caractéristiques et les exigences du Royaume par ses paroles, ses œuvres et sa personne.

Le Royaume de Dieu est destiné à tous les hommes, car tous sont appelés à en être les membres. Pour souligner cet aspect, Jésus s’est fait proche surtout de ceux qui étaient en marge de la société, leur accordant sa préférence, lorsqu’il annonçait la Bonne Nouvelle. Au début de son ministère, il proclame qu’il a été envoyé pour porter la Bonne Nouvelle aux pauvres (cf. Lc 4,18). A tous les rejetés et à tous les méprisés, il déclare : « Heureux, vous les pauvres » (Lc 6,20) ; de plus, il amène ces marginaux à vivre déjà une expérience de libération : il demeure avec eux, il va manger avec eux (cf. Lc 5,30 ; 15, 2), il les traite comme des égaux et des amis (cf. Lc 7,34), il leur fait sentir qu’ils sont aimés de Dieu et révèle ainsi l’immense tendresse de Dieu envers les plus démunis et les pécheurs (cf. Lc 15,1-32).

La libération et le salut qu’apporte le Royaume de Dieu atteignent la personne humaine dans ses aspects physiques et spirituels. Deux gestes caractérisent la mission de Jésus : guérir et pardonner. Ses nombreuses guérisons montrent sa grande compassion en face de la misère humaine ; mais elles signifient aussi qu’il n’y aura plus, dans le Royaume, ni maladies ni souffrances et que, dès le début, la mission tend à libérer les personnes de leurs maux. Dans la perspective de Jésus, les guérisons sont également signes du salut spirituel, c`est-à-dire de la libération du péché. En accomplissant des gestes de guérison, Jésus invite à la foi, à la conversion et au désir du pardon (cf. Lc 5,24). Quand est reçu le don de la foi, la guérison pousse à aller plus loin : elle introduit dans le salut (cf. Lc 18,42-43). Les gestes de libération de la possession du démon, mal suprême et symbole du péché et de la rébellion contre Dieu, sont des signes que « le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous » (Mt 12,28).

15. Le Royaume doit transformer les rapports entre les hommes et se réalise progressivement, au fur et à mesure qu’ils apprennent à s’aimer, à se pardonner, à se mettre au service les uns des autres. Jésus reprend toute la Loi, en la centrant sur le commandement de l’amour (cf. Mt 22,34-40 ; Lc 10,25-28). Avant de quitter les siens, Jésus leur donne un « commandement nouveau » : « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (Jn 13,34 ; cf. 15, 12). L’amour dont Jésus a aimé le monde trouve son expression la plus haute dans le don de sa vie pour les hommes (cf. Jn 15,13) qui manifeste l’amour que le Père a pour le monde (cf. Jn 3,16). C’est pourquoi la nature du Royaume est la communion de tous les êtres humains entre eux et avec Dieu.

Le Royaume concerne les personnes humaines, la société, le monde entier. Travailler pour le Royaume signifie reconnaître et favoriser le dynamisme divin qui est présent dans l’histoire humaine et la transforme. Construire le Royaume signifie travailler pour la libération du mal dans toutes ses formes. En un mot, le Royaume de Dieu est la manifestation et la réalisation de son dessein de salut dans sa plénitude.

Le Royaume de Dieu est accompli et proclamé dans la Personne du Ressuscité

16. En ressuscitant Jésus d’entre les morts, Dieu a vaincu la mort et, dans le Christ, il a inauguré définitivement son Règne. Pendant sa vie terrestre, Jésus est le prophète du Royaume et, après sa Passion, sa Résurrection et son Ascension au ciel, il participe à la puissance de Dieu et à son pouvoir sur le monde (cf. Mt 28,18 ; Ac 2,36 ; Ep 1,18-21). La Résurrection confère une portée universelle au message du Christ, à son action et à toute sa mission. Les disciples se rendent compte que le Royaume est déjà présent dans la personne de Jésus et qu’il est instauré peu à peu dans l’homme et dans le monde par un lien mystérieux avec lui.

Après la Résurrection, en effet, ils prêchaient le Royaume, annonçant que Jésus est mort et ressuscité. Philippe, en Samarie « annonçait la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu et du nom dé Jésus Christ » (Ac 8,12). A Rome, Paul « proclamait le Royaume de Dieu et enseignait ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ » (cf. Ac 28,31). Les premiers chrétiens annonçaient eux aussi, « le Royaume du Christ et de Dieu » (Ep 5,5 ; cf. Ap 11,15 ; 12, 10), ou bien « le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ » (2 P 1,11). C’est sur l’annonce de Jésus Christ, avec qui s’identifie le Royaume, qu’est centrée la prédication de l’Eglise primitive. Aujourd’hui, il faut de même unir l’annonce du Royaume de Dieu (le contenu du « kérygme » de Jésus) et la proclamation de l’événement Jésus Christ (c’est-à-dire le « kérygme » des Apôtres). Les deux annonces se complètent et s’éclairent réciproquement.

Le Royaume en rapport avec le Christ et l’Eglise

17. On parle beaucoup aujourd’hui du Royaume, mais pas toujours en accord avec la pensée de l’Eglise. Il existe, en effet, des conceptions du salut et de la mission que l’on peut appeler « anthropocentriques », au sens réducteur du terme, dans la mesure où elles sont centrées sur les besoins terrestres de l’homme. Suivant cette manière de voir, le Royaume tend à devenir une réalité exclusivement humaine et sécularisée où ce qui compte, ce sont les programmes et les luttes pour la libération sociale et économique, politique et aussi culturelle, mais avec un horizon fermé à la transcendance. Sans nier qu’il y ait des valeurs à promouvoir également à ce niveau, cette conception reste toutefois dans les limites d’un royaume de l’homme privé de ses dimensions authentiques et profondes, et elle se traduit facilement par l’une des idéologies de progrès purement terrestre. Le Royaume de Dieu, au contraire, « n’est pas de ce monde..., il n’est pas d’ici » (cf. Jn 18,36).

Il y a d’autres conceptions qui mettent délibérément l’accent sur le Royaume et se définissent comme « régnocentriques » ; elles mettent en avant l’image d’une Eglise qui ne pense pas à elle-même, mais se préoccupe seulement de témoigner du Royaume et de le servir. C’est une « Eglise pour les autres », dit-on, comme le Christ est « l’homme pour les autres ». On analyse la tâche de l’Eglise comme si elle devait être accomplie dans deux directions : d’une part, promouvoir ce qu’on nomme les « valeurs du Royaume », telles que la paix, la justice, la liberté, la fraternité ; d’autre part, favoriser le dialogue entre les peuples, les cultures, les religions, afin que, grâce à un enrichissement mutuel, ils aident le monde à se renouveler et à avancer toujours plus vers le Royaume.

A côté d’aspects positifs, ces conceptions comportent souvent des aspects négatifs. D’abord, elles gardent le silence sur le Christ : le Royaume dont elles parlent se fonde sur un « théocentrisme », parce que-dit-on-le Christ ne peut pas être compris par ceux qui n’ont pas la foi chrétienne, alors que les peuples, les cultures et les diverses religions peuvent se rencontrer autour de l’unique réalité divine, quel que soit son nom. Pour le même motif, elles privilégient le mystère de la création qui se reflète dans la diversité des cultures et des convictions, mais elles se taisent sur le mystère de la Rédemption. En outre, le Royaume tel qu’elles l’entendent, finit par marginaliser ou sous-estimer l’Eglise, par réaction à un « ecclésiocentrisme » supposé du passé et parce qu’elles ne considèrent l’Eglise elle-même que comme un signe, d’ailleurs non dépourvu d’ambiguïté.

18. Or il ne s’agit pas là du Royaume de Dieu tel que nous le connaissons par la Révélation et que l’on ne peut séparer ni du Christ ni de l’Eglise.

Comme il a été dit, non seulement le Christ a annoncé le Royaume, mais c’est en lui que le Royaume lui-même s’est rendu présent et s’est accompli, et pas seulement par ses paroles et par ses actes : « Avant tout, le Royaume se manifeste dans la personne même du Christ, Fils de Dieu et Fils de l’homme, venu "pour servir et donner sa vie en rançon d’une multitude" (Mc 10,45) »22. Le Royaume de Dieu n’est pas un concept, une doctrine, un programme que l’on puisse librement élaborer, mais il est avant tout une Personne qui a le visage et le nom de Jésus de Nazareth, image du Dieu invisible23. Si l’on détache le Royaume de Jésus, on ne prend plus en considération le Royaume de Dieu qu’il a révélé, et l’on finit par altérer le sens du Royaume, qui risque de se transformer en un objectif purement humain ou idéologique, et altérer aussi l’identité du Christ, qui n’apparaît plus comme le Seigneur à qui tout doit être soumis (cf. 1 Co 15, 27).

De même, on ne peut disjoindre le Royaume et l’Eglise. Certes, l’Eglise n’est pas à elle-même sa propre fin, car elle est ordonnée au Royaume de Dieu dont elle est germe, signe et instrument. Mais, alors qu’elle est distincte du Christ et du Royaume, l’Eglise est unie indissolublement à l’un et à l’autre. Le Christ a doté l’Eglise, son corps, de la plénitude des biens et des moyens de salut ; l’Esprit Saint demeure en elle, la vivifie de ses dons et de ses charismes, il la sanctifie, la guide et la renouvelle sans cesse24. Il en résulte une relation singulière et unique qui, sans exclure l’action du Christ et de l’Esprit Saint hors des limites visibles de l’Eglise, confère à celle-ci un rôle spécifique et nécessaire. D’où aussi le lien spécial de l’Eglise avec le Royaume de Dieu et du Christ qu’elle a « la mission d’annoncer et d’instaurer dans toutes les nations »25.

19. C’est dans cette perspective d’ensemble qu’il faut comprendre la réalité du Royaume. Certes, il exige la promotion des biens humains et des valeurs que l’on peut bien dire « évangéliques », parce qu’elles sont intimement liées à la Bonne Nouvelle. Mais cette promotion, à laquelle l’Eglise tient, ne doit cependant pas être séparée de ses autres devoirs fondamentaux, ni leur être opposée, devoirs tels que l’annonce du Christ et de son Evangile, la fondation et le développement de communautés qui réalisent entre les hommes l’image vivante du Royaume. Que l’on ne craigne pas de tomber là dans une forme d’ « ecclésiocentrisme » ! Paul VI, qui a affirmé l’existence d’« un lien profond entre le Christ, l’Eglise et l’évangélisation »26, a dit aussi : « L’Eglise n’est pas à elle-même sa propre fin, mais elle désire avec ardeur être tout entière du Christ, dans le Christ et pour le Christ ; tout entière également des hommes, parmi les hommes et pour les hommes »27.

L’Eglise au service du Royaume

20. L’Eglise est au service du Royaume effectivement et concrètement. Elle l’est, avant tout, par l’appel à la conversion : c’est le service premier et fondamental rendu à la venue du Royaume dans les personnes et dans la société humaine. Le salut eschatologique commence dès maintenant par la vie nouvelle dans le Christ : « A tous ceux qui l’ont accueilli, il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom » (Jn 1,12).

L’Eglise est au service du Royaume quand elle fonde des communautés et quand elle institue des Eglises particulières qu’elle conduit à la maturité de la foi et de la charité, dans l’ouverture aux autres, dans le service de la personne et de la société, dans la compréhension et l’estime des institutions humaines.

L’Eglise est aussi au service du Royaume quand elle répand dans le monde les « valeurs évangéliques » qui sont l’expression du Royaume et aident les hommes à accueillir le plan de Dieu. Il est donc vrai que la réalité commencée du Royaume peut se trouver également au-delà des limites de l’Eglise, dans l’humanité entière, dans la mesure où celle-ci vit les « valeurs évangéliques » et s’ouvre à l’action de l’Esprit qui souffle où il veut et comme il veut (cf. Jn 3,8) ; mais il faut ajouter aussitôt que cette dimension temporelle du Royaume est incomplète si elle ne s’articule pas avec le Règne du Christ, présent dans l’Eglise et destiné à la plénitude eschatologique28.

Les multiples perspectives du Royaume de Dieu29 n’affaiblissent pas les fondements et les finalités de l’activité missionnaire, elles les renforcent plutôt et les élargissent. L’Eglise est sacrement du salut pour toute l’humanité et son action ne se limite pas à ceux qui acceptent son message. Elle est force dynamique sur le chemin de l’humanité vers le Règne eschatologique, elle est signe et promotrice des valeurs évangéliques parmi les hommes30. L’Eglise contribue à ce chemin de conversion au projet de Dieu par son témoignage et par ses activités, comme le dialogue, la promotion humaine, l’engagement pour la justice et la paix, l’éducation et le soin des malades, l’assistance aux pauvres et aux petits, s’en tenant toujours fermement au primat de la transcendance et de la spiritualité, prémices du salut eschatologique.

L’Eglise est enfin au service du Royaume par son intercession, car le Royaume est de soi don et œuvre de Dieu, comme le rappellent les paraboles évangéliques et la prière que Jésus nous a enseignée. Nous devons le demander, l’accueillir, le faire grandir en nous ; mais nous devons aussi travailler pour qu’il soit accueilli par les hommes et grandisse parmi eux, jusqu’au jour où le Christ « remettra la royauté à Dieu le Père » et où « Dieu sera tout en tous » (cf. 1 Co 15, 24. 28).


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